Article Information

Authors:
Salomon H.A. Kochou1
Mburano J.R. Rwenge2

Affiliations:
1Division Collecte et Centralisation des Données, Institut National de la Statistique, Cote d'Ivoire

2Université de Yaounde 2, Institut de Formation et de Recherche Démographiques (IFORD), Cameroon

Correspondence to:
Mburano Rwenge.

Email:
rwenge_mburano@yahoo.fr

Postal address:
PO Box 1556, Yaoundé, Cameroon

Dates:
Received: 19 Apr. 2014
Accepted: 21 Aug. 2014
Published: 18 Dec. 2014

How to cite this article:
Kochou, S.H.A. & Rwenge, M.J.R., 2014, ‘Facteurs sociaux de la non-utilisation des services de soins prénatals ou de leur utilisation inadéquate en Côte d'Ivoire’, African Evaluation Journal 2(1), Art. #79, 12 pages. http://dx.doi.org/10.4102/aej.v2i1.79

Note: The paper was presented at the 7th African Evaluation Association (AfrEA) conference held in Yaounde, Cameroon, 1–5 March 2014.

Copyright Notice:
© 2014. The Authors. Licensee: AOSIS OpenJournals.

This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License, which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.

Facteurs sociaux de la non-utilisation des services de soins prénatals ou de leur utilisation inadéquate en Côte d'Ivoire
In This Original Research...
Open Access
Abstrait
Abstract
Introduction
Approche théorique
   • Approche offre des soins
   • Approche demande des soins
   • Approche globale
   • Description de notre approche
Population étudiée
Méthodologie
   • Source des données
Variables
   • Variable dépendante
   • Variables indépendantes
   • Méthodes d'analyse statistique
      • 3.2.4 Biais ou erreurs
Résultats
   • Déterminants, leur hiérarchisation et groupes cibles
   • Mécanismes d'action de certains déterminants
Conclusion et recommandations
Remerciements
   • Intérêts concurrents
Contributions des auteurs
Références
Appendix 1
Abstrait

Contexte: En Côte d'Ivoire, la situation sanitaire et, particulièrement celle des femmes enceintes, est de plus en plus critique depuis la crise sociopolitique qui sévit dans ce pays. En effet, le taux de mortalité maternelle est passé de 543 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes en 2005 à 614 décès en 2011.

Objectifs: Etant donné que la plupart des causes médicales de la mortalité maternelle peuvent être prévenues, il est pertinent d'identifier les facteurs de la non-utilisation des services de soins prénatals ou de leur utilisation inadéquate, de les hiérarchiser, d’élucider leurs mécanismes d'action et de caractériser les femmes adoptant ces comportements. Tels sont les objectifs de cette étude.

Méthode: Les données utilisées sont celles de l'Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples (EDS-MICS) réalisée en Côte d'Ivoire en 2011 2012. Pour atteindre les objectifs de l’étude, nous avons utilisé comme méthodes statistiques les modèles multivariés de régression logistique multinomiale.

Résultats: Il ressort des analyses effectuées que, toutes choses égales par ailleurs, les déterminants les plus importants des comportements étudiés sont dans l'ordre l'ethnie, le degré de modernité, la perception de la distance et le niveau de vie du ménage. Ils expliquent à eux seuls plus de 60% de la variation totale de la variable dépendante. Les femmes les plus concernées par des comportements à risques sont Mandé, Gour/voltaïque et étrangères, non modernes; elles perçoivent les centres de santé comme difficilement accessibles et vivent dans les ménages pauvres.

Conclusion: L'on devrait donc sensibiliser les femmes ayant les caractéristiques culturelles susmentionnées ainsi que leurs partenaires sur les risques associés à la non-utilisation des services de soins prénatals, améliorer leur accès à ces services et leur condition de vie.

Abstract

Social factors of the nonuse or the inadequate use of prenatal care in Côte d'Ivoire.

Background: In Côte d'Ivoire, the health situation, and particularly that of pregnant women, is very critical since the socio-political crisis which is facing this country. Indeed, the maternal mortality rate has passed in this country from 543 maternal deaths per 100 000 live births in 2005 to 614 maternal deaths in 2011.

Objectives: As most of the medical causes of maternal mortality are preventable, it is pertinent to identify and prioritise the factors of the non-use of prenatal care and those of its inadequate use, to identify their mechanisms of actions and to characterise women who are more adopted by the above-mentioned risky behaviours. These are the objectives of this study.

Methods: The data used here are those from the Demographic and Health and Multiple Indicators Cluster Survey (DHS-MICS) carried out in Côte d'Ivoire in 2011–2012. To achieve the study objectives, we used the multinomial logistic regression models.

Results: It appears from the analyses that, all things being equal, the most important determinants of the studied behaviours are in order ethnicity, degree of modernity, the perception of the distance and the standard of living of the household. They explain about 60% of the total variation of the dependent variable. The women more concerned by risky behaviours are Mandé, Gour/Voltaïque and foreigners, non-modern, who difficultly have access to health centres and live in less fortunate households.

Conclusion: Therefore, it should be important to educate and sensitise women with the above cultural characteristics, as well as their partners, on the risks associated with the non-use of prenatal care services, to improve their condition of life and their access to these services.

Introduction

Un des défis majeurs auxquels l'espèce humaine est quotidiennement confrontée est la sauvegarde de la vie. Toutes ses actions traduisent de façon directe ou indirecte sa volonté de prévenir ou de guérir les maux susceptibles d'entraîner la mort. Pour une femme, donner naissance devrait être une situation normale, une source de joie, et un moyen d'accomplissement humain et social. Malheureusement, il arrive encore que de nombreuses femmes donnent la vie en perdant la leur, ou en gardant des séquelles qui peuvent les handicaper pendant le reste de leurs jours sur terre, à cause de nombreuses complications de la grossesse et/ou de l'accouchement.

Le ratio de mortalité maternelle est estimé à 500 décès pour 100 000 naissances vivantes en Afrique subsaharienne alors qu'il est de 220 pour 100 000 en Asie du Sud et 16 pour 100 000 dans les pays développés (WHO 2012). Cet indicateur révèle l'ampleur des différences en terme de santé maternelle entre pays industrialisés et pays en développement et, ce, surtout que dans certains pays africains, au Cameroun et en Côte d'Ivoire par exemple, ce phénomène tend même à augmenter (Libite et Barrere 2012; INS et ICF International 2012).

Compte tenu de ce qui précède, améliorer la santé maternelle en Afrique subsaharienne est une urgence. Non seulement, les femmes sont des piliers économiques essentiels et leur santé joue un rôle très important dans le développement économique durable de cette région du monde, mais elles ont aussi le droit de choisir le nombre d'enfants qu'elles veulent avoir et le moment de les mettre au monde sans courir le risque de mourir.

Plusieurs initiatives ont été prises à l’échelle internationale pour réduire la mortalité maternelle dans les pays en développement. On peut citer la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD) tenue au Caire en 1994 et récemment le sommet de l'Union Africaine de juillet 2010, où une campagne pour une réduction accélérée de la mortalité maternelle a été lancée et où les chefs d’États africains ont convenu d'investir dans la santé maternelle pour le développement de l'Afrique. Pour investir efficacement, les décideurs ont besoin d'informations pertinentes sur les facteurs de risque de mortalité maternelle, d'où la pertinence de cette étude.

Si l'on en croit l'OMS, l'UNICEF, l'UNFPA et la Banque Mondiale (2008), 99% des décès maternels sont observés dans les pays en développement, africains en particulier, et la plupart sont dus à des complications que les femmes expérimentent pendant la grossesse, à l'accouchement, ou durant les six premières semaines du post-partum. Étant donné que la plupart de ces complications peuvent être médicalement prévenues, le non recours ou le retard dans le recours aux soins obstétricaux, l'accessibilité des soins obstétricaux (en termes de temps et de coût) et la disponibilité des soins obstétricaux de qualité déterminent le risque de mortalité maternelle dans ces pays. Ainsi, pour éviter ces décès, l'OMS préconise, entre autres, un suivi médical de la grossesse, en réalisant au moins quatre visites prénatales auprès des professionnels de la santé, dont la première dans le premier trimestre de la grossesse, et en recevant deux doses d'anatoxine tétanique durant la grossesse en cours ou une seule dose si l'on a été vacciné lors de la grossesse précédente.

Selon les résultats de l'Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples (EDS-MICS) de 2011–2012 en Côte d'Ivoire, 91% des grossesses relatives aux naissances des 5 dernières années ont fait l'objet d'un suivi auprès d'un personnel qualifié mais seulement 44% ont bénéficié de 4 visites et 55% des femmes enceintes ont reçu deux (02) doses de vaccin anti tétanique (VAT) (INS et ICF International 2012). Il importe donc de savoir pourquoi en Côte d'Ivoire certaines femmes n'utilisent pas les services de soins prénatals et pourquoi celles qui les utilisent le font inadéquatement. En d'autres termes, cette recherche apportera des éléments de réponse aux deux questions suivantes: Quels sont les facteurs sociaux de la non-utilisation des services de soins prénatals en Côte d'Ivoire? Quels sont ceux de leur utilisation inadéquate ? Ses objectifs spécifiques sont alors d'identifier le profil des femmes ivoiriennes adoptant ces comportements à risques, de rechercher et de hiérarchiser les facteurs sociaux qui entrainent ces comportements et d’élucider leurs mécanismes d'action. L’étude s'organise en cinq parties : (i) Approche théorique ; (ii) Population étudiée ; (iii) Méthodologie ; (iv) Principaux résultats ; (v) Conclusion et recommandations.

Approche théorique

Les recherches sur le recours aux soins en général et celles sur le recours aux soins pendant la grossesse en particulier font intervenir plusieurs disciplines, à savoir la médecine, la démographie, la sociologie, l'anthropologie et même l’économie. A cet effet, on retrouve dans la littérature plusieurs approches explicatives des comportements étudiés, qui sont classées en trois groupes, à savoir approche offre des soins, approche demande des soins et approche intégrant l'offre et la demande des soins (Beninguisse 2003; Chemgne 2010; Rwenge et Tchamgoue 2011).

Approche offre des soins

Selon l'approche offre des soins, la disponibilité et les caractéristiques des services de santé influencent le recours aux soins. En d'autres termes, l'inexistence de l'offre des soins, son insuffisance et ses caractéristiques déterminent la demande de soins. L'offre crée donc sa propre demande, tel que présume l’économie classique. Le choix thérapeutique est alors conçu comme avant tout dépendant de l'efficacité des soins proposés par les filières thérapeutiques, de la distance à parcourir, du temps d'attente, du coût des prestations et de la qualité d'interaction entre le thérapeute et le malade. Cette approche sous-estime l'effet du contexte socioculturel et celui de l'acteur (c.-à-d. l'individu) dans le choix thérapeutique.

Approche demande des soins

L'approche demande des soins repose sur l'idée d'une détermination sociale des comportements : ainsi, pour Émile Durkheim (1904, cité par Franckel 2004), l'action sociale consiste «en des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui ». Les valeurs, les coutumes et les normes sociales apparaissent donc comme des moteurs du recours aux soins, intégrées sous forme de structures structurantes de la pensée (Bourdieu 1970, cité par Franckel 2004). Elles servent de guide définissant le cadre des comportements: « la majeure partie des comportements sont habituels, prévisibles, attendus et répétés » (Pescolido 1992, cité par Franckel 2004).

De nombreuses études sociodémographiques se sont inscrites dans cette perspective explicative du recours aux soins. Elles ont essayé de l'expliquer par une multiplicité de variables socioculturelles comme l'ethnie, la religion et le degré de modernité en accordant une place importance aux variations culturelles des croyances et perceptions relatives à la grossesse, à l'accouchement et aux complications associées (Dako-Gyeke et al. 2013 ; Adong 2011; Beninguisse 2003).

Les conditions économiques dans lesquelles vit un individu déterminent aussi ses comportements thérapeutiques (Prual 1999; Ransom et Yinger 2002 ; Beninguisse 2003). En d'autres termes, la capacité financière d'un individu à prendre en charge sa santé détermine ses comportements thérapeutiques. Le niveau de vie des ménages, l'activité économique de la femme et celle de son partenaire font donc partie des variables explicatives du recours aux soins obstétricaux. Dans la plupart des études, il a été constaté que, toutes choses égales par ailleurs, les femmes économiquement défavorisées sont les moins enclines à effectuer les consultations prénatales pendant la grossesse et à accoucher dans les formations sanitaires (Beninguisse 2003; Kone-Pefoyo et Rivard 2006). Dans la dimension « économique » de l'approche demande, l'individu est aussi considéré comme un acteur rationnel, qui agit en fonction du rapport entre les avantages et les coûts perçus. Ceci est bien mis en évidence dans le Health Belief Model (HBM) (Godin 1988; cité par Franckel 2004). Quant à la dimension « sociodémographique » de cette approche, elle s'intéresse aux caractéristiques qui renseignent sur le capital santé de la femme avant la conception, lequel peut aussi agir comme des prédispositions psychologiques (Beninguisse 2003). Enfin, il importe d'accorder aussi un rôle important aux rapports de genre lorsqu'on étudie le recours aux soins obstétricaux dans le contexte africain. En effet, comme le dit si bien Locoh (1997), « certaines femmes n'accèdent pas aux soins obstétricaux ou accèdent à ceux inadéquats puisque la décision d'y recourir revient à d'autres membres de la famille (l’époux ou les hommes de la famille) ».

Approche globale

L'approche globale intègre les deux approches susmentionnées, à savoir l'approche offre des soins et l'approche demande des soins. Andersen et Newman (1972) et Kroeger (1983) sont parmi les premiers à s’être orientés vers cette approche puisqu'ils considèrent les caractéristiques individuelles, les caractéristiques de la maladie et les caractéristiques du système de soins dans l'ensemble des déterminants des pratiques thérapeutiques. Ces auteurs classent les déterminants individuels en deux groupes. Ils distinguent notamment les facteurs prédisposant de facteurs facilitant. Pour Anderson et Newman (1972), les attitudes et connaissances de santé se retrouvent parmi les premiers et les revenus, le niveau socio-économique, la taille de la famille et l'instruction se retrouvent parmi les deuxièmes. Kroeger (1983) inclut dans le premier ensemble les facteurs sociodémographiques et socio-psychologiques. Les caractéristiques de la maladie et du cadre étiologique dépendent de la sévérité, de la durée et de l'interprétation de l'origine du mal. Les caractéristiques du système de soins décrivent la diversité de l'offre, son accessibilité spatiale ou géographique, son accessibilité financière, sa qualité et son efficacité.

Dans le contexte africain, marqué par le pluralisme thérapeutique et une perception diversifiée de la grossesse (Camara 2003), pour mieux appréhender l'utilisation des services de soins obstétricaux, il est pertinent d'adopter une approche explicative globale. C'est ainsi que d'autres modèles complets ont été développés par Zoungrana (1993), Fournier et Haddad (1995) et Beninguisse (2003) et validés dans le contexte camerounais, dans l'ensemble des femmes, par le dernier auteur et, dans celui des adolescentes, par Rwenge et Tchamgoue (2011).

Description de notre approche

Notre approche est, dans une certaine mesure, adaptée de celle de Beninguisse (2003) et Rwenge et Tchamgoue (2011). Notre étude s'inscrit donc aussi dans la perspective explicative globale pour des raisons déjà évoquées. Nous présumons que le recours aux soins prénatals par les femmes est fonction du contexte dans lequel elles résident, des caractéristiques de l'offre sanitaire, des caractéristiques du ménage, des rapports de genre au sein du couple et des caractéristiques individuelles. Le contexte de résidence renseigne sur l'influence du milieu ou de la région où l'individu habite de façon permanente. En revanche, le contexte culturel, déterminé par le milieu culturel, produit les normes et valeurs en rapport avec la grossesse et les complications relatives à celles-ci. Les deux dimensions de ce concept, à savoir les caractéristiques traditionnelles du milieu culturel et ses caractéristiques modernes, sont pertinentes dans le contexte africain. En effet, le recours aux soins prénatals par la femme dépend non seulement des valeurs qu'elle a intériorisées pendant sa socialisation traditionnelle, mais aussi de son ouverture à la modernité. Certaines valeurs traditionnelles relatives à la gestation et à la parturition intériorisées par la femme pendant son enfance sont défavorables à leur fréquentation des services modernes de soins. Par exemple, dans diverses traditions africaines, la maternité est considérée comme une fonction naturelle de la femme (Beninguisse, 2003; Bouchon 2012). Par conséquent, la grossesse et l'accouchement n'y sont pas perçus comme des problèmes de santé (Beninguisse 2003; Bouchon 2012). Ce qui peut se traduire par une faible fréquentation des formations sanitaires. L'ouverture de la femme à la modernité améliore sa perception de la grossesse et de l'accouchement et, partant, sa prise de conscience des risques de complications associées.

Notre approche a aussi une dimension économique puisqu'elle considère l'acte de consultation prénatale comme la rencontre entre une offre et une demande thérapeutique. Les caractéristiques de l'offre sanitaire font donc partie de facteurs des comportements étudiés ici. Il en est de même du niveau de vie du ménage et des rapports de genre au sein du couple. En effet, le soutien matériel dont bénéficie la femme au sein du ménage joue un rôle important dans l'utilisation des services modernes de soins dans les contextes actuels de crise économique et de recouvrement des coûts dans les hôpitaux publics.

En plus, il va sans dire que, dans le contexte africain, où les décisions dans le domaine de la santé reproductive sont généralement prises par l'homme, qui est pourtant moins concerné que la femme par les problèmes de santé reproductive, l'autonomie de la femme dans la prise des décisions dans ce domaine ou sa participation à la prise des décisions peut améliorer ses comportements thérapeutiques.

La direction du ménage et l'entourage familial sont d'autres caractéristiques des ménages incluses dans notre approche dans l'ensemble des déterminants du recours aux soins prénatals. Abondant dans le même sens que Pilon (1996), les femmes chefs de ménages sont plus favorables au recours aux soins prénatals que leurs homologues de sexe masculin. L'entourage familial joue un rôle important puisqu'il apporte aux femmes le support social dont elles ont besoin pour faire face aux difficultés d'ordre psychologique et matériel (Rwenge et Tchamgoue, 2011).

Les caractéristiques propres à la femme et à sa grossesse, à savoir l'antécédent de l'avortement, la mutilation génitale et l'opportunité de la grossesse, sont considérées dans notre approche comme des facteurs directs du recours aux soins prénatals. En d'autres termes, ils agissent comme des variables intermédiaires des facteurs sociaux et individuels ci-dessus mentionnés.

Population étudiée

Cette étude porte sur les femmes de la Côte d'Ivoire. Situé en Afrique de l'Ouest, ce pays est limité au Nord par le Mali et le Burkina Faso, à l'Est par le Ghana, à l'Ouest par la Guinée et le Liberia, et au Sud par l'Océan Atlantique. Il dispose d'une capitale économique (Abidjan) et d'une capitale politique (Yamoussoukro). Son relief est parsemé de plaines au Sud, de plateaux étagés au Centre et au Nord, et de montagnes à l'Ouest avec comme point culminant le Mont Nimba (1753m). Du Sud au Nord, le pays est couvert de forêts, de savane arborée et de savane herbeuse. Deux grandes zones climatiques se côtoient: le climat équatorial et le climat tropical de la savane, plus ou moins sec.

Le peuplement de la Côte d'Ivoire s'est effectué par vagues de migrations successives. Ce qui confère à ce pays un caractère cosmopolite. Il porte en son sein des peuples d'origines diverses qui cohabitent depuis des siècles: les Akan, dans le Sud-est, représentent 42% de la population ; les Krou, dans le Sud-ouest, 13% ; les Mandé ou Mandingue, dans le Nord-Ouest, 27% ; les Gour ou Voltaïques, dans le Nord-est, 18% (INS et ICF International 2012). De cette diversité ethnique découle une pluralité culturelle qui fait de la Côte d'Ivoire un carrefour d'aires ethnoculturelles d'Afrique de l'Ouest. Plusieurs obédiences religieuses y sont présentes: les principales sont l'Islam (majoritairement au Nord), le Christianisme (majoritairement au Sud) et l'Animisme.

Dans une étude socio-anthropologique réalisée par Bouchon (2012) plusieurs barrières socioculturelles au recours aux soins prénatals ont été identifiées en Côte d'Ivoire. Il s'agit, par exemple, de (1) la perception de la grossesse comme n’étant pas une maladie ; une femme enceinte doit alors assumer ses tâches de la même manière que tout le reste du groupe social ; elle est jugée à son courage pendant la grossesse, mais aussi pendant l'accouchement puis par le fait de revenir rapidement parmi les actifs; (2) la méconnaissance des mesures préventives des pathologies liées à la grossesse et de la symptomatologie des principales pathologies; (3) l'opinion selon laquelle une femme enceinte doit vivre sa grossesse en toute discrétion: elle et les membres de sa famille doivent taire son état, car l'exprimer expose son enfant et elle-même aux risques liés au mauvais æil; (4) l'opinion selon laquelle une femme enceinte doit éviter de se déplacer la nuit pour éviter de mauvaises rencontres, notamment celles des esprits; (5) l'abondance des interdits alimentaires concernant la femme enceinte; (6) la perception de certaines pathologies comme magico-religieuses. Il existe donc une forte distance entre normes médicales et attitudes ou pratiques socioculturelles en Côte d'Ivoire comme partout ailleurs en Afrique au Sud du Sahara.

La population de la Côte d'Ivoire est actuellement estimée à environ 24 millions d'habitants et vit actuellement dans des conditions économiques difficiles. L'Indice Synthétique de Fécondité (ISF) est de 4 enfants par femme, mais le Nord (6.0 6.8 enfants par femme) se démarque du Sud (4.8 5.0 enfants par femme) par une fécondité très forte (INS et ICF International 2012). Les politiques de santé ont été développées et mises en æuvre en Côte d'Ivoire depuis les années 60 pour améliorer la santé des populations. Ces politiques se sont accompagnées de l'accroissement des infrastructures sanitaires, mais, face à la crise sociopolitique qui a secoué le pays depuis septembre 2002 et à la crise financière, la situation sanitaire reste en déphasage avec les attentes des différentes politiques sanitaires aux niveaux de l'accessibilité géographique, de l'accessibilité financière, des ressources humaines, du système d'information sanitaire et de la mise en æuvre des programmes de santé.

Le plus récent Plan National de Développement Sanitaire (PNDS) couvre la période 2009 2013 et a pour objectif général d'améliorer l’état de santé et le bien-être des populations dans un contexte de post conflit. Plus spécifiquement, il vise à résoudre les problèmes de santé et à corriger les dysfonctionnements du système de santé nés de la crise sociopolitique. [Agrave] cet effet, la présente étude permettra aux autorités concernées de disposer des informations nécessaires à l'atteinte de ces objectifs dans le domaine de la santé maternelle.

Méthodologie
Source des données

Les données utilisées dans le cadre de cette étude sont issues de la troisième Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples (EDS-MICS) réalisée en Côte d'Ivoire en 2011 2012 par le Ministère de la Santé et de la Lutte contre le Sida (MSLS) et l'Institut National de la Statistique(INS). Elle a bénéficié de l'assistance technique d'ICF International dans le cadre du programme mondial des Enquêtes Démographiques et de Santé (Demographic and Health Surveys MEASURE DHS). Comme les deux premières EDS de 1992 et 1998, elle avait pour objectif principal de recueillir les informations sur la santé des femmes et de leurs jeunes enfants, sur la fécondité, la connaissance et l'utilisation des méthodes contraceptives, la mortalité maternelle et la mortalité des jeunes enfants, sur la connaissance et les attitudes vis-à-vis des maladies sexuellement transmissibles, du sida et sur la prévalence du VIH.

Il s'agissait d'une enquête stratifiée représentative au niveau national, dont l’échantillon a été tiré à deux degrés. Les dix régions statistiques de la Côte d'Ivoire avec la ville d'Abidjan constituent les onze strates géographiques. Ces dernières ont ensuite été séparées en zone urbaine et en zone rurale pour former des strates d’échantillonnage. Au premier degré, les districts de recensement ont été tirés avec une probabilité proportionnelle à leur taille dans chacune des dix régions et à Abidjan et, ce, selon le milieu de résidence. Au deuxième degré, les ménages ont été tirés dans chaque district de recensement. Comme dans toutes les EDS, des coefficients de pondération ont été prévus pour assurer l'auto-pondération de l’échantillon au sein de chaque strate.

Les données utilisées concernent 3139 femmes âgées de 15 à 49 ans ayant eu une naissance vivante au cours des trois dernières années précédant l'enquête. On retrouve dans l'ensemble des informations collectées auprès de ces femmes, la personne consultée durant la grossesse, le nombre de visites prénatales, le vaccin antitétanique durant la grossesse, le lieu d'accouchement et l'assistance à l'accouchement. Ces informations permettent d’étudier parmi les femmes enceintes le recours aux soins modernes pendant la grossesse et pendant l'accouchement. Elles permettent aussi d'identifier les facteurs sociaux du recours aux soins puisqu'on y retrouve les caractéristiques sociales, économiques et démographiques des enquêtées et celles des ménages dans lesquels elles habitent.

Variables
Variable dépendante

La variable dépendante utilisée ici est l'utilisation des services de soins prénatals. Elle a été créée en se référant aux recommandations de l'OMS au sujet de la prévention des grossesses, à partir des quatre variables suivantes: nombre de visites prénatales effectuées, âge de la grossesse au moment de la première visite, nombre d'injections de dose antitétanique reçues et personnel consulté lors des visites prénatales. Selon les recommandations de l'OMS, la femme enceinte doit effectuer sa première visite prénatale dans le premier trimestre de la grossesse, effectuer au moins quatre visites prénatales, recevoir au moins deux doses d'anatoxine tétanique durant la grossesse en cours, ou une seule dose si la femme avait été vaccinée lors de la grossesse précédente, et réaliser ses visites dans les centres de santé ou auprès des professionnels de santé.

Ainsi, quatre variables correspondant chacune à une des recommandations ont été créées. La première a les trois modalités suivantes: 0 (n'a jamais effectué de visite prénatale); 1 (en a effectuée, mais tardivement); 2 (en a effectuée dans le premier trimestre de la grossesse). Les trois autres variables sont dichotomiques puisque chacune d'elles prend la valeur 1 si la recommandation a été respectée et 0 sinon. En additionnant les quatre variables, nous avons obtenu un indicateur rendant compte du degré d'utilisation des services de soins prénatals dont les valeurs ont été classées en trois catégories: (1) Adéquate, lorsque la femme a utilisé les services des soins prénatals et respecté toutes les normes de l'OMS; (2) Partielle, lorsqu'elle les a utilisés, mais elle n'a pas respecté les normes de l'OMS ; (3) Nulle, lorsqu'elle ne les a pas du tout utilisés. Dans l'ensemble des femmes de l’échantillon ayant eu au moins une naissance dans les trois dernières années ayant précédé l'enquête, 8% n'ont pas bénéficié d'un suivi médical de leurs grossesses, 75% en ont bénéficié partiellement et 15% en ont bénéficié totalement (Table 1).

TABLEAU 1: Répartition (%) des femmes enquêtées selon les variables de l’étude.
Variables indépendantes

Conformément à notre approche conceptuelle, nous présumons que le recours aux soins prénatals par les femmes est fonction du contexte dans lequel elles résident, des caractéristiques de l'offre sanitaire, des caractéristiques du ménage, des rapports de genre au sein du couple et des caractéristiques individuelles.

À cet effet, nous avons inclus dans l'ensemble des variables indépendantes un indicateur du contexte de résidence, à savoir la région de résidence, et trois indicateurs du milieu culturel, à savoir l'ethnie, la religion et le degré de modernité. En effet, l'ethnie et la religion véhiculent les valeurs traditionnelles en matière de santé, alors que le degré de modernité renseigne sur le degré d'exposition de l'individu aux valeurs modernes en matière de santé. Ce dernier est un indicateur composite créé à l'aide d'une Analyse en Composantes Principales (ACP) sur les variables niveau d'instruction de la femme, son occupation, son exposition aux médias (télévision, radio et journaux/magazines), sa sensibilisation sur les risques associés à la grossesse et son utilisation de méthodes contraceptives modernes. Les distributions des variables indépendantes mentionnées ci-dessus sont aussi présentées au Table 1.

L'influence de l'offre sanitaire est appréhendée ici au niveau individuel par la perception du coût des prestations et celle de la distance entre la localité et le centre de santé le plus proche. Dans le contexte de la Côte d'Ivoire, comme le montre le même tableau, une proportion importante des enquêtées perçoit les coûts des prestations comme étant élevés et les centres de santé comme étant éloignés de leurs domiciles et inaccessibles.

Dans l'ensemble des caractéristiques des ménages, trois seulement font partie des variables indépendantes des comportements étudiés, notamment le sexe du chef de ménage, la taille du ménage et son niveau de vie. Pour appréhender les rapports de genre au sein des couples, la participation de la femme à la prise des décisions dans le domaine de la santé a été considérée. Enfin, le statut matrimonial de l'enquêtée, son lien de parenté avec le chef de ménage, l'opportunité de la grossesse (c.-à-d. si celle-ci a été désirée ou non) et ses antécédents dans les domaines d'avortement et de mutilation génitale font aussi partie des variables indépendantes. Les distributions de ces variables indépendantes se trouvant aux niveaux ménage et individuel sont aussi présentées au Table 1.

Méthodes d'analyse statistique

Pour évaluer l'effet net de chacune des variables indépendantes sur les comportements étudiés, nous avons recouru au modèle multivarié de régression logistique multinomiale, compte tenu du fait que la variable dépendante a trois modalités. Nous n'avons pas présenté ici les coefficients de régression (β), mais les odds ratios (c.-à-d. les exponentiels de β) puisqu'il est moins aisé de caractériser les femmes concernées par les comportements à risques à partir des premiers que des deuxièmes. La modalité de référence a été choisie ici non seulement dans le cas de la variable indépendante, mais aussi dans le cas de la variable dépendante. Par exemple, si l'utilisation adéquate des services de soins prénatals est la modalité de référence choisie, les odds ratios seront présentés comme suit:

β > 0, alors eβ > 1 : on dira que les individus de la modalité considérée ont eβ fois plus de risque que les individus de la modalité de référence de ne pas faire les visites prénatales plutôt que de les faire adéquatement. En d'autres termes, un odds ratio de eβ signifie que ne pas faire les visites prénatales plutôt que les faire adéquatement est eβ fois plus fréquent chez les individus de la modalité considérée que chez ceux de la modalité de référence.

β = 0, alors eβ = 1 : on dira qu'il n'y a pas de relation.

β < 0, alors 0 < eβ < 1 : on dira que les individus de la modalité considérée ont eβ fois moins de risque que les individus de la modalité de référence de ne pas faire les visites prénatales plutôt que de les faire adéquatement. En d'autres termes, un odds ratio de eβ signifie que ne pas faire les visites prénatales plutôt que les faire adéquatement est eβ fois moins fréquent chez les individus de la modalité considérée que chez ceux de la modalité de référence.

L'identification des mécanismes d'action des facteurs a été faite en recourant aux modèles à pas croissants. Au-delà de l'examen des odds ratios permettant d'identifier les déterminants et les mécanismes de certains d'entre eux, nous avons procédé à une hiérarchisation des variables, ce qui permet de connaître les facteurs sur lesquels il faudra mettre la priorité. Cette hiérarchisation des variables s'est faite à partir du calcul de la contribution (Ci) de chacune des variables à l'explication du comportement considéré, mesurée par la statistique du Khi-deux du modèle. Cette contribution est donnée par la formule suivante:

est le Khi-deux du modèle global et est le Khi-deux sans la variable indépendante n°i.

En clair, la hiérarchisation a conduit à ordonner les variables en fonction du pourcentage de Khi-deux qu'elles apportent à l'explication du comportement considéré.

Les données ont été analysées sous le logiciel STATA 11.

3.2.4 Biais ou erreurs

Les biais se réfèrent à la tendance des mesures ou des statistiques de dévier la valeur vraie de la mesure ou de la statistique (Brownson et Petitti 1998 ; cités par Camara 2010). Dans cette étude, le problème de biais de sélection ne se pose pas compte tenu du plan d’échantillonnage utilisé pendant l'enquête EDS-MICS réalisée en Côte d'Ivoire en 2011 2012. L'existence de non-réponses au niveau des variables de l'enquête est un autre type de biais mais nous avons constaté que son taux est inférieur à 5% aussi bien dans le cas de la variable dépendante que dans celui des variables indépendantes. Un autre biais important est celui d'endogénéité. En effet, comme pendant l'enquête transversale susmentionnée, le comportement étudié et les caractéristiques des individus ont été mesurés simultanément, il n'est pas évident de savoir lequel est survenu le premier. Un autre biais est dû à l'existence des facteurs confondants, c'est-à-dire des facteurs qui « voyagent ensemble » et que l'effet de l'un est confondu avec ou déformé par l'effet de l'autre, mais le recours aux analyses multivariées explicatives a permis le contrôle des facteurs confondants dans l'ensemble desquels nous avons inclus l’âge et la parité atteinte.

Résultats
Déterminants, leur hiérarchisation et groupes cibles

En considérant la surveillance médicale totale de la grossesse comme modalité de référence, toutes choses égales par ailleurs, les variables qui influencent le fait de ne pas effectuer la visite prénatale sont la région de résidence, l'ethnie, la religion, le degré de modernité, la perception de la distance et celle du coût, le niveau de vie du ménage, la participation à la prise des décisions et l’état matrimonial (Table 2). L'ethnie, le degré de modernité, la perception de la distance et le niveau de vie du ménage se retrouvent dans l'ordre aux quatre premiers rangs dans la hiérarchie des déterminants et expliquent à eux seuls plus de 60% de la variation totale de la variable dépendante.

TABLEAU 2:: Odds ratios (OR) d'utilisation des services de soins prénatals chez les femmes ivoiriennes avec comme modalité de référence l'utilisation adéquate de ces services.
TABLEAU 2: (Suite et fin): Odds ratios (OR) d'utilisation des services de soins prénatals chez les femmes ivoiriennes avec comme modalité de référence l'utilisation adéquate de ces services.

Comparativement aux Akan, les femmes Mandé, Gour/voltaïque et étrangères ont respectivement 3.6 fois, 2.2 fois et 4.5 fois plus de risque de ne jamais faire de visites prénatales plutôt que de bénéficier d'une surveillance totale de leurs grossesses. De même, comparativement aux femmes modernes, celles non modernes ont 12.5 (soit 1/0.08) fois plus de risque de ne pas faire de visites prénatales plutôt que de bénéficier d'une surveillance totale de leurs grossesses. Comparativement aux femmes peu modernes, celles non modernes ont 3 (soit 1/0.3) fois plus de risque de se comporter de la même façon. Par ailleurs, les femmes qui perçoivent les centres de santé comme difficilement accessibles en terme de distance et en terme de coût ont respectivement 2.3 fois et 1.89 fois plus de risque de ne jamais faire de visites prénatales que celles qui les perçoivent comme facilement accessibles. Le risque d'avoir ce comportement diminue significativement lorsqu'augmente le niveau de vie du ménage.

On constate aussi que, toutes choses égales par ailleurs, les femmes animistes ou adeptes de religion traditionnelle ont 1.83 fois plus de risque que les musulmanes de ne jamais faire les visites prénatales plutôt que de bénéficier d'une surveillance totale de leurs grossesses. Enfin, la participation de la femme à la prise des décisions dans le domaine de la santé réduit son risque de ne jamais faire les visites prénatales (OR = 0.51). En revanche, le fait qu'elle soit célibataire l'augmente significativement (OR = 2.81).

Tableau 3: Contribution (%) des variables à l'explication de la variation des comportements étudiés.

En considérant la même modalité comme référence, les variables qui influencent le fait de ne bénéficier que partiellement de la surveillance médicale de la grossesse sont l'ethnie, le degré de modernité, la perception de la distance et le niveau de vie du ménage (Table 2). Ici l'ethnie et le degré de modernité se retrouvent aussi aux deux premiers rangs et expliquent seuls 73% de la variation du comportement considéré. On constate dans le cas présent que par rapport aux Akan, les Mandé ont 0.65 fois moins de risques de bénéficier d'une surveillance partielle de leurs grossesses plutôt que d'en bénéficier totalement. De même, par rapport aux femmes non modernes, les femmes peu modernes et les modernes ont respectivement 0.6 fois et 0.4 fois moins de risque de bénéficier d'une surveillance partielle de leurs grossesses que d'en bénéficier totalement. La perception des centres de santé comme étant difficilement accessibles en termes de distance est de même ici positivement associée à l'utilisation partielle des services de soins prénatals (OR = 1.4). En revanche, le fait d'appartenir aux ménages aisés est négativement associé à ce comportement (OR = 0.73 dans les ménages de niveau de vie moyen et 0,44 dans ceux de niveau de vie élevé).

Mécanismes d'action de certains déterminants

Les modèles à pas croissants permettent d’élucider les mécanismes d'action de certains déterminants. Nous ne présentons ici que les résultats obtenus dans le cas où le comportement étudié est la non-surveillance médicale de la grossesse puisqu'ils sont les plus instructifs (tableau A1).On constate que le degré de modernité a annulé l'influence de la région de résidence alors que l'opportunité de la grossesse a fait ressurgir son influence. Ces résultats signifient que le degré de modernité et l'opportunité de la grossesse agissent respectivement comme variable intermédiaire et comme variable inhibitrice de la région de résidence. En d'autres termes, dans le premier cas, les femmes nordistes sont les plus enclines à ne pas effectuer les visites prénatales puisqu'elles sont pour la plupart non-modernes ou peu-modernes. Dans le deuxième cas, l'occurrence des grossesses non-désirées incite les femmes nordistes à adopter encore plus ce comportement.

Les résultats obtenus révèlent aussi que l'opportunité de la grossesse agit comme une variable inhibitrice de la participation de la femme à la prise des décisions dans le domaine de la santé. En d'autres termes, l'occurrence des grossesses non désirées renforce la différence positive des risques de non-surveillance médicale de la grossesse entre les femmes qui ne participent pas à la prise des décisions dans ce domaine et d'autres.

Conclusion et recommandations

Les objectifs de cette étude étaient de rechercher les facteurs sociaux de la non-utilisation des services de soins prénatals ou de leur utilisation inadéquate chez les femmes ivoiriennes, de les hiérarchiser et d’élucider les mécanismes de certains d'entre eux. L'analyse des données de l'EDS-MICS réalisée en Côte d'Ivoire en 2011 2012 a permis d'atteindre ces objectifs en recourant aux modèles multivariés de régression logistique multinomiale.

Toutes choses égales par ailleurs, les déterminants les plus importants des comportements étudiés sont dans l'ordre l'ethnie, le degré de modernité, la perception de la distance et le niveau de vie du ménage. Ils expliquent seuls plus de 60% de la variation totale de la variable dépendante. Les femmes les plus concernées par des comportements à risques sont Mandé, Gour/voltaïque et étrangères, non modernes, qui perçoivent les centres de santé comme difficilement accessibles et vivent dans les ménages pauvres. Les résultats relatifs aux effets des contextes de résidence et culturels, de l'offre sanitaire et des caractéristiques du ménage confortent ceux de Zoungrana (1993), Beninguisse (2003), Koné-Pefoyo et Rivard (2006), Bouchon (2012) et Nafosso et Kasiwa (2013). Ils suggèrent qu'en éduquant et sensibilisant les femmes et leurs partenaires sur l'importance d'effectuer les visites prénatales dans le respect de toutes les normes relatives à celles-ci, on améliorerait leurs pratiques dans ce domaine. Ils suggèrent aussi qu'on devrait parallèlement améliorer les conditions de vie des familles et la disponibilité des formations sanitaires offrant les services des soins prénatals.

Les résultats de l’étude ont aussi révélé que le degré de modernité et l'opportunité de la grossesse agissent respectivement comme variable intermédiaire et comme variable inhibitrice de la région de résidence. Ce qui témoigne une fois de plus de l'importance de l’éducation et de la sensibilisation des femmes et de leurs partenaires sur les visites prénatales. En plus, ces résultats montrent qu'il est important de réduire les inégalités de genre et de permettre aux femmes d'avoir des enfants quand elles veulent. Le fait que l'influence de la participation de la femme à la prise des décisions s'est renforcée en présence de l'opportunité de la grossesse témoigne aussi de la pertinence de cette dernière recommandation.

Au niveau scientifique, cette étude suggère qu'il est important de réaliser une étude qualitative socioculturelle sur le sujet dans la région du Nord de la Côte d'Ivoire, particulièrement en milieu rural, pour mieux comprendre pourquoi les femmes de cette région sont les moins enclines aux visites prénatales.

Remerciements
Intérêts concurrents

Nous déclarons n'avoir de relations ni personnelles ni financières qui auraient pu nous influencer de quelque manière que ce soit dans la rédaction de cet article.

Contributions des auteurs

Les deux auteurs ont identifié le problème et recherché la méthode adéquate. KASH (jeune chercheur) a effectué la synthèse de la littérature et dégagé les différentes approches explicatives, ensuite il a cherché les informations sur la population étudiée et enfin il a traité et analysé les données sous la supervision de RMJR (enseignant-chercheur à l'IFORD). Ce dernier a en plus décrit l'approche théorique de l’étude et rédigé toutes ses autres sections. Il s'est aussi chargé de travaux de mise en forme de l'article selon les normes de l'African Evaluation Journal.

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Appendix 1
TABLEAU A1:: Odds Ratios (OR) de non-utilisation des services de soins prénatals avec comme référence utilisation adéquate de ces services (résultats issus des modèles de régression logistique multinomiale à pas croissants).

 

Crossref Citations

1. Inequality in opportunity of access to antenatal care in Cameroon: multilevel modelling, spatial analysis and decomposition methods
Anne Darline Youmbi, Betrand Fesuh Nono, Christian Zamo Akono
Swiss Journal of Economics and Statistics  vol: 160  issue: 1  year: 2024  
doi: 10.1186/s41937-024-00121-6